Une preuve vivante : Des étudiantes de l’Université Madda Walabu s’attaquent aux inégalités hommes-femmes

Récits

Two women

Anene Merga ne possédait que les vêtements qu’elle portait lors qu’elle est arrivée à l’Université Madda Walabu (UMW), en septembre dernier. Cette étudiante de 19 ans était convaincue de l’importance de faire des études postsecondaires. Elle savait qu’un baccalauréat en sciences du sport lui permettrait d’obtenir un emploi et de payer les études de ses frères et soeurs.

Elle avait plusieurs petits boulots entre ses cours pour essayer de gagner assez d’argent pour payer son dortoir et remplir ses besoins essentiels. Mais elle n’arrivait pas à joindre les deux bouts. « Je n’arrivais pas à survivre », raconte-t-elle. Anene était sur le point de se résoudre à abandonner ses études…

Fasika Tamrat (à gauche) et Saron Buche (à droite), deux étudiantes de quatrième année de droit qui transforment l’université de l’intérieur.

Environ 1 200 des 13 000 étudiants de l’UMW, une université éthiopienne, sont considérés vulnérables en raison d’un handicap ou d’une situation économique difficile. La majorité d’entre eux sont des femmes.

« Bon nombre des étudiantes de l’UMW viennent de milieu rural défavorisé. Ces femmes sont vulnérables aux abus sexuels en échange d’argent ou de meilleures notes, explique Grace Puja, experte en relations hommes-femmes et coopérante-volontaire de Cuso International. Ces défis nécessitent des stratégies auxquelles doivent participer tous les membres de la société, les femmes comme les hommes, pour s’attaquer à toutes les formes de discrimi-nation fondée sur le sexe, la situation économique et les capacités. »

Cette Torontoise de 70 ans travaille de concert avec le Bureau de services aux femmes de l’Université et partage son savoir et son savoir-faire dans le domaine de l’intégration des politiques d’égalité hommes-femmes. Pour cette ancienne étudiante de l’Université de Dar es Salaam, en Tanzanie, et de l’Université de Makerere, en Ouganda, la discrimination sexuelle, la violence faite aux femmes et le harcèlement sexuel sont des problèmes omniprésents.

À l’UMW, les étudiantes marginalisées peuvent deman-der de l’aide financière au Bureau de services aux femmes. Le nombre d’étudiantes qui demandent de l’aide est telle-ment élevé que les bénéficiaires sont tirées au sort. Au cours de la dernière année, près de 300 étudiants (hommes et femmes) ont reçu de l’aide, à raison de moins de 10 $CA par mois. Ceux et celles qui n’ont pas été choisis sont contraints d’abandonner leurs études s’ils ne parviennent pas à trouver un autre moyen de subvenir à leurs besoins.

Vêtements sur la corde à linge à l’extérieur du dortoir des femmes, à l’Université Madda Walabu.

« Le manque d’argent nécessaire pour survivre et acheter leur matériel scolaire les oblige souvent à se tourner vers la prostitution, constate Gishu Adere, directrice du Bureau de services aux femmes. Nous essayons de mettre fin à cette pratique, mais elles ont cruellement besoin d’argent. C’est un dilemme terrible pour elles. »

Fasika Tamrat et Saron Buche, deux étudiantes en quatrième année de droit et coprésidentes de l’Association des femmes de l’UMW, affirment que les étudiantes qui souhaitent poursuivre des études postsecondaires ont souvent l’impression de ne pas avoir de choix. Bon nombre d’entre elles n’ont même pas de quoi s’acheter un stylo et un calepin, sans oublier des serviettes hygiéniques et du savon… Elles n’ont donc pas accès au même niveau d’études que les hommes.

« Les femmes, particulièrement celles de notre communauté, ne sont pas autorisées à se consacrer à leurs études comme les garçons. Par conséquent, lorsqu’elles arrivent à l’université, elles n’ont pas autant de connaissances qu’eux, explique Fasika. Et presque toutes les étudiantes ont des problèmes financiers. Elles ont besoin d’aide à tous les niveaux. »

L’Association des femmes de l’UMW aide les étudiantes de différentes façons : séances d’orientation, mise en contact avec les services offerts par l’université, ateliers sur l’égalité entre les sexes et activités de plaidoyer pour l’intégration de politiques d’égalité hommes-femmes sur le campus. Les membres de l’Association travaillent également à l’élaboration d’un outil de collecte de fonds pour pouvoir aider plus d’étudiantes.

À partir de la gauche, Anene Merga et Gishu Adere, directrice du Bureau de services aux femmes.

Fasika se souvient de l’arrivée d’Anene dans le dortoir des filles. « Elle n’avait que les vêtements qu’elle portait. Elle n’avait pas de matelas, pas de draps, pas de couvertures. Elle dormait sans rien du tout. »

Anene avait 8 ans lorsque ses parents l’ont placée en famille d’accueil. Ils n’avaient pas les moyens d’envoyer leurs 5 enfants à l’école, et le gouvernement payait l’éducation des enfants en famille d’accueil jusqu’à l’âge de 18 ans. Ses frères et soeurs sont restés à la maison.

Si Anene a pu fréquenter l’école gratuitement, cela n’a pas été sans coûts pour elle. « La vie en famille d’accueil était extrêmement difficile. Je devais faire tout l’entretien ménager et m’occuper des enfants. Ma famille d’accueil me nourrissait, m’habillait et m’envoyait à l’école, mais je ne recevais pas un sou. Je n’ai donc pas pu économiser pour plus tard », précise-t-elle.

« Si je travaille sur des chantiers de construction et que je nettoie les vêtements d’autres étudiants pendant mes temps libres, c’est pour envoyer de l’argent à mes parents pour que mes frères et soeurs puissent fréquenter l’école. Je ne garde pas cet argent pour moi, car je veux qu’ils poursuivent leurs études. Je me sens responsable d’eux. »

Incapable d’aider sa famille tout en payant ses études, Anene a dû prendre une décision difficile : interrompre sa formation. Heureusement, Fasika et l’Association des femmes sont intervenues! Elles ont réussi à convaincre le Bureau de services aux femmes de court-circuiter la loterie afin d’accorder de l’aide financière à Anene, à raison de 200 birrs (9,42 $CA) par mois pour ses frais de scolarité et de première nécessité.

« Le Bureau de services aux femmes a changé ma vie, raconte Anene. Ils ont été très gentils et très accueillants. Ils m’ont aidée à plusieurs niveaux. Sans eux, j’aurais dû abandonner l’université. »

L’histoire d’Anene n’est malheureusement pas unique. Et les difficultés ne disparaissent pas d’elles-mêmes à l’obtention d’un diplôme. Les femmes continuent à subir de la discrimination sur le marché du travail, précise Gishu. Des 45 postes de cadre à l’UMW, seulement 3 sont occupés par des femmes. « Les femmes veulent des emplois, mais elles n’ont pas les mêmes possibilités que les hommes, explique-t-elle. Depuis mes études, j’ai pu constater à quel point les femmes subissent des inégalités et de la discrimination. Je veux que ça change. C’est important pour moi. »

Grace Puja, à droite, une experte des enjeux de genre, aide une université éthiopienne à mettre en place des politiques d’égalité hommes-femmes.

Heureusement, on observe déjà certains changements. Toutes les semaines, les membres de l’Association des femmes se rencontrent pour discuter d’égalité hommes-femmes, de santé et de protection des femmes et d’autres problèmes rencontrés par les étudiantes. Des professeurs sont récompensés pour avoir offert du tutorat gratuitement à des étudiantes. Les employés sont formés pour réduire la violence faite aux femmes et intervenir adéquatement, si nécessaire. L’Université s’apprête également à mettre en oeuvre une politique contre le harcèlement sexuel afin de tenir les professeurs responsables de leurs actes.

Ces avancées sont en grande partie dues à des femmes comme Gishu, Grace et Anene, qui refusent le statu quo et qui continuent à lutter pour améliorer les conditions de vie des femmes et des filles.

« Comme nous étudions en droit, nous comprenons la loi. Et en tant qu’étudiantes, nous comprenons toute l’importance de ces problèmes, explique Fasika, qui souhaite devenir avocate ou juge après ses études. Nous croyons qu’avec notre formation en droit, notre expérience personnelle et notre passion pour les étudiantes, nous pouvons arriver à résoudre ces problèmes. »

Lorsqu’Anene retournera chez elle dans trois ans, son diplôme en main, elle continuera à travailler pour que ses frères et soeurs puissent fréquenter l’école et sensibilisera les jeunes de sa communauté aux droits des femmes et à l’égalité hommes-femmes. « J’assumerai cette respon-sabilité. Je leur parlerai de ma vie et de mon expérience. Je leur dirai que les difficultés ne doivent pas nous arrêter, souligne-t-elle. J’en suis la preuve vivante! »