Rompre avec la tradition : Un organisme de femmes autochtones transforme l’avenir du Myanmar

Récits

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Une jeune mère est assise sur le sol d’une petite chambre, sa fille sur ses genoux. Pas de lit à l’horizon : seulement une natte roulée déposée dans le coin de la pièce et une moustiquaire suspendue au plafond. C’est la seule pièce privée de cette maison d’hébergement pour femmes.

Plus d’une dizaine de femmes, de jeunes et d’enfants vivent dans les trois pièces de cette maison d’un étage, où May Chan* est arrivée deux ans plus tôt. « Une amie m’a mis en contact avec l’organisme. À ce moment-là, je n’avais nulle part où aller, explique la mère de 29 ans. Alors je suis venue ici. »

Cette maison est l’une des dizaines de lieux d’hébergement opérés par la Jeepyah Civil Society Development Organization (JCSDO) dans l’État de Mon. La JCSDO travaille avec les Mons, un peuple autochtone marginalisé qui vit principalement dans le sud-est du Myanmar (Birmanie).

Les employés de Jeepyah discutent de l’importance des droits des femmes. Photos de Brian Atkinson.

Ma Cherry, fondatrice de JCSDO et directrice de Women Empowerment and Child Rights, a ouvert la maison d’hébergement lorsque des entrevues menées sur le terrain ont fait ressortir la prévalence de la violence sexuelle et conjugale et des agressions sexuelles sur des enfants.

Les villageoises de la région sont peu au courant de leurs droits et leurs options. La plupart ne peuvent couvrir les frais associés aux démarches juridiques, et les autorités ignorent bien souvent les rares déclarations de violence faite aux femmes.

Même aujourd’hui, May Chan a du mal à parler de ce qui l’a amenée à la maison d’hébergement. D’autres femmes, et même des filles de 14 ans, sont des survivantes de violences sexuelles ou de la traite de personnes. Un jeune homme transgenre vit aussi dans la maison d’hébergement après avoir fui un mariage arrangé et un contexte de violence.

La JCSDO offre aux survivantes un milieu de vie sécuritaire, des conseils et de l’aide pour naviguer dans le système juridique. Ma Cherry estime que plus de 100 femmes, jeunes et enfants ont franchi les portes de la maison depuis son ouverture deux ans plus tôt.

« Nous devons encore lutter pour que les droits fondamentaux des femmes et des enfants soient respectés. La discrimination sexuelle est profondément ancrée dans notre culture, souligne-t-elle. La tradition veut que les problèmes familiaux ne concernent personne et qu’il ne faut pas s’en mêler. Nous rompons avec la tradition. »

Le mot « jeepya » signifie « guidé par l’exemple » en mon, et c’est exactement ce que fait la JCSDO. Depuis sa fondation en 2012, elle s’efforce de mieux faire connaître l’égalité entre les sexes, la démocratie et l’état de droit, d’offrir de la formation aux jeunes afin de développer leurs savoirs et leurs savoir-faire et d’offrir des possibilités de leadership et de soutien aux survivantes de violence faite aux femmes pour qu’elles connaissent leurs droits et soient outillées pour les défendre.

Mary Thompson (à gauche) et Ma Cherry ont joué un rôle essentiel dans le lancement d’une ligne d’assistance téléphonique sur la santé sexuelle et reproductive.

« Les femmes ont souvent l’impression qu’elles ne peuvent pas occuper de rôles de leadership et de prise de décisions. Elles croient qu’elles sont des citoyennes de second ordre, explique Ma Cherry. Nous devons avoir des femmes pour nous représenter si nous voulons régler ce problème. Nous devons aider les femmes à prendre confiance en elles et à mieux connaître leurs droits. »

La coopérante-volontaire de Cuso Mary Thompson participe activement à cet effort. Collaborant avec la JCSDO depuis deux ans à titre de conseillère en développement organisationnel, elle a joué un rôle clé dans la création de nouveaux partenariats pour des initiatives de sensibilisation.

Elle a notamment participé à un projet pilote de ligne d’aide en santé sexuelle et reproductive. Le personnel de la JCSDO pourra transmettre de l’information sur la contraception, les pratiques sexuelles sans risque et les relations violentes sans choquer les communautés plus conservatrices. « C’est un très bon moyen de joindre les jeunes et les personnes qui vivent en région éloignée », explique Mary.

« Dans notre maison d’hébergement, les femmes proviennent de communautés situées à trois heures de route au nord et à quatre à cinq heures de route au sud. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg, puisqu’il ne s’agit que des femmes qui décident de venir nous voir. Les autres gardent le silence parce qu’elles ne savent pas quoi faire pour se défendre et obtenir justice. C’est pour cela que nous avons besoin de cette ligne d’urgence », poursuit Mary.

L’Ontarienne de 31 ans, originaire de Bayfield, est passionnée par son travail. Comme des élections sont prévues pour 2020, Ma Cherry et elle ont rédigé un appel à l’action destiné aux candidats. La JCSDO surveillera lesquels s’engagent à défendre l’égalité homme-femme et les droits des femmes et des enfants, et lesquels ignorent leurs demandes.

« Ce ne sont pas des enjeux distincts. Ils sont étroitement reliés. Si nous voulons mettre fin à la violence faite aux femmes, plus de femmes doivent être au pouvoir et plus de leaders doivent militer pour les droits des femmes », explique Mary.

Les voix des femmes au Parlement créent des conversations plus diverses et offrent des perspectives différentes sur des sujets politiques.

Les femmes qui souhaitent entrer en politique ou sur le marché du travail rencontrent de nombreux obstacles. Plus de 30 députées de l’État de Mon, de l’État de Karen et de la région de Tanintharyi ont partagé des anecdotes concernant les difficultés qu’elles ont dû surmonter pour faire leur place. Mary a ensuite collaboré avec une artiste locale qui a illustré leurs récits.

La JCSDO a publié les dessins, accompagnés de traductions en mon, en birman et en anglais, puis a organisé une exposition et un lancement officiel. « Les gens étaient contents de les voir et d’y réfléchir, souligne Mary. L’idée était de prendre des concepts difficiles et d’en faire une oeuvre que tout le monde, même ceux qui ne savent pas lire ou écrire, pouvaient apprécier et comprendre. »

Sur l’un des dessins, des oiseaux bleus peignent une murale en vert. Dans le deuxième dessin, des oiseaux bleus et roses peignent une murale à l’aide de différentes couleurs et techniques. Le message est simple : inclure la voix des femmes donne lieu à des conversations plus riches et offre des perspectives variées.

« Lorsque les femmes sont outillées et éduquées et qu’elles occupent des postes de leadership, elles peuvent contribuer à bâtir une société démocratique plus paisible, prospère et durable pour tous les citoyens, souligne Ma Cherry. C’est notre avenir. Les femmes en sont la clé. »

*Nom fictif