Perspectives : Plus fortes qu’un super typhon

Récits

Three women holding woven rugs

La coopérante-volontaire de Cuso International Amanda Klassen (à gauche) avec des tisserandes de nattes traditionnelles aux Philippines. La designer vancouvéroise Amanda Klassen piaffait d’impatience à l’idée de travailler avec des tisserandes d’expérience des Philippines. Voici sa perspective sur les événements.

Tout a commencé l’an dernier, lorsque j’ai entrepris mon affectation comme spécialiste en développement des affaires auprès d’un groupe de tisserandes de Basey, à Samar, aux Philippines. Je suis designer de produits, et j’aide des entreprises à travers le monde à développer de nouvelles gammes de produits ou à améliorer leurs produits existants afin d’assurer leur croissance.

J’étais affectée à la Basey Association of Native Industry Growth (BANIG), une entreprise sociale venant en aide aux tisserandes. Ces tisserandes aux doigts de fée sont reconnues pour leurs fameuses nattes en roseau tikog, une espèce indigène qu’elles récoltent de façon durable. Banig, qui signifie « natte » en français, est un ouvrage typiquement philippin élevé au rang de trésor national. Dès le départ, j’ai eu le sentiment que cette affectation serait profitable pour tout le monde.

 J’aurais la chance de contribuer au bien commun tout en apprenant de nouvelles techniques durables. Toutefois, mes recherches préliminaires ne m’avaient pas préparée aux dures réalités de la pauvreté. La partie la plus difficile du projet fut donc de faire face à la pauvreté jour après jour. Bien des femmes n’ont commencé à exiger le respect de leurs droits et à bâtir leur indépendance financière qu’après le typhon Haiyan de 2013. Ce typhon, l’une des plus grandes tempêtes tropicales de l’histoire, a fait plus de 6 300 victimes, plus de 27 000 blessés et plus de 4 millions de déplacés aux Philippines. Il a également détruit ou endommagé plus de 1,1 million de maisons.

Après le typhon, les femmes furent les premières à organiser les interventions de reconstruction. En voyant les femmes prendre les choses en main avec succès, bien des maris ont commencé à leur confier de plus grandes responsabilités. Aujourd’hui, après plus de cinq années d’expérience de développement et de reconstruction, on observe un virage culturel majeur. Les femmes de la BANIG ont saisi ces nouvelles possibilités sans hésiter une seconde. Comme me l’a dit la présidente de l’Association, « quand nous demandons de l’aide et qu’on nous la refuse, nous passons à la personne suivante ».

Ces villageoises sont des moteurs de changement et parmi les femmes les plus polyvalentes que je connaisse. Tous les mois, leurs leaders suivent des séminaires ou donnent des ateliers. Elles ont soif d’apprentissages et de réseautage. À mon avis, cette qualité essentielle leur permettra de faire évoluer leur organisation.

Croissance, durabilité et nouveaux débuts

Avant mon arrivée aux Philippines, j’avais de grands projets. J’étais tellement excitée que j’en perdais le sommeil. J’ai rapidement compris que la plupart d’entre eux seraient impossibles. Pendant mes premières semaines, j’ai suivi les femmes dans leurs activités quotidiennes. J’observais le contexte culturel dans lequel les échanges avaient lieu et je notais les comportements, les actions, les besoins, les points faibles et les caractéristiques démographiques. J’ai découvert pourquoi la souplesse et la capacité d’adaptation sont essentielles en coopération volontaire.

J’ai dû repenser la façon de gérer une entreprise pratiquement hors réseau. Les données cellulaires sont un luxe aux Philippines. Malgré tout, certaines tisserandes ont un téléphone intelligent de base et sont d’avides utilisatrices de Facebook, car l’application permet de communiquer sans trop consommer de données. Ensemble, nous avons décidé de lancer le premier outil de distribution en ligne de la BANIG à l’aide de ce média social.

Ces découvertes m’ont rappelé de prendre le temps d’évaluer la situation et de commencer par le commencement. J’ai donc revu mon plan de travail, ce qui a redonné une certaine fluidité au projet. C’est comme une rivière : il est préférable de nager avec le courant. Ce serait épuisant de nager à contrecourant, de toute façon. Aujourd’hui, elles ont un catalogue de produits et des photos du groupe pour leurs propositions et leur couverture médiatique. Les demandes reçues dès la première journée du lancement en ligne ont obligé les femmes à se rendre au bureau de poste pour s’informer des tarifs de livraison. De magnifiques tapis de méditation ont été envoyés à Vancouver, et l’organisation a déjà des acheteurs professionnels qui commandent des produits faits sur mesure.

Les voir distribuer le travail à leur membre pour répondre aux demandes croissantes fut l’un de mes plus beaux moments. Mais ces femmes ne furent pas les seules à grandir. Peu après mon retour au pays, j’ai appliqué ce que les tisserandes m’avaient appris et j’ai lancé ma petite entreprise. Les premiers produits affichés sur mon site furent les superbes nattes tissées par les femmes de la BANIG. Je souhaite que cette petite initiative inspire d’autres concepts phares et durables.

 Ces femmes m’ont énormément appris sur la résilience et la persévérance. Ce fut un honneur de pouvoir être témoin de leur débrouillardise et de leur dynamisme. L’expérience m’a ouvert les yeux sur des possibilités auxquelles j’étais restée aveugle jusqu’alors. Aujourd’hui, je suis convaincue que rien ne pourra m’empêcher d’aller de l’avant si j’ai la bonne attitude.

Perspectives est une nouvelle rubrique permettant de raconter son expérience dans ses propres mots. Écrivez à l’adresse suivante pour proposer des témoignages : editor@cusointernational.org