Censure au Pérou : quand défendre les droits humains devient un crime
Récits

« C’est une injonction au silence. »
C’est ainsi que Pilar García, Représentante nationale de Cuso International au Pérou, décrit la nouvelle loi ciblant les organisations à but non lucratif qui voudraient soutenir des projets promouvant les droits humains, l’égalité des genres ou les droits des personnes LGBTQ+ au pays. Entrée en vigueur en avril dernier, la nouvelle loi péruvienne élargit les pouvoirs de l’Agence péruvienne de coopération internationale (APCI), lui permettant de restreindre les activités des organismes à but non lucratif jugés trop critiques envers le gouvernement conservateur impopulaire, incluant le président et le congrès.
Avant cette loi, Cuso n’avait aucune difficulté à rendre compte de ses finances et de ses projets à l’APCI, explique Pilar.
Mais dorénavant, les projets de Cuso dans le pays sont limités par cette loi, qui rend illégales les activités considérées comme contraires à « l’ordre public ».
« C’est très flou, » dit Pilar. « Qu’est-ce que l’ordre public exactement? Et que signifie s’y opposer? Cela peut vouloir dire bien des choses… on ne sait pas vraiment comment avancer. »
Ce qui l’inquiète particulièrement, c’est l’impact direct de cette loi sur les peuples autochtones, les femmes, les personnes réfugiées et les membres des communautés LGBTQ+.
« Ce sont les populations les plus marginalisées et vulnérables du pays, » souligne Pilar. Elle ajoute que la loi rend passible de lourdes sanctions le soutien, par des ONG comme Cuso, aux plaintes pour atteinte aux droits humains déposées par ces groupes contre le gouvernement.
Selon elle, les partisans de cette loi « cherchent peut-être à se protéger », notamment contre les plaintes de femmes ayant été stérilisées sans leur consentement ou de familles de personnes blessées ou tuées à cause de politiques passées. L’accès à la justice ou à des compensations pourrait désormais leur être refusé.
« Cela pourrait signifier que ces femmes et ces familles ne reçoivent jamais la reconnaissance ni les réparations qu’elles méritent, » dit-elle. Et si Cuso ou d’autres organisations internationales osent plaider en leur faveur, elles risquent une amende pouvant aller jusqu’à 1 million de dollars canadiens – ou même la fermeture.
Par ailleurs, la loi pourrait aussi empêcher Cuso d’appuyer financièrement certains groupes de femmes autochtones, puisque toutes les ONG doivent dorénavant être enregistrées auprès du gouvernement : une exigence que ces groupes refusent, s’identifiant comme les peuples originels de ce territoire.
« Sans l’appui de Cuso et d’autres ONG, ces groupes ne pourront pas continuer leur travail, » prévient Pilar.
À ses yeux, les Canadiennes et Canadiens ont un rôle important à jouer. « Ils peuvent écrire à leur député ou députée pour exprimer leurs préoccupations. »
« Le Canada peut montrer au monde ce qui se passe ici. Les citoyennes et citoyens peuvent porter notre voix, maintenant qu’on tente de la faire taire. »
Pour Nicolas Moyer, directeur général de Cuso, la situation que connaît le Pérou n’est pas un cas isolé. « Dans bon nombre de pays où nous œuvrons, les organisations de la société civile traversent une période difficile alors que certains gouvernements restreignent la liberté d’expression et les droits humains. Les Canadiennes et Canadiens doivent savoir ce qui arrive aux défenseures et défenseurs des droits humains dans le monde. Ils peuvent faire une réelle différence en appuyant le travail de Cuso dans des pays comme le Pérou. »