Redonner espoir, un repas à la fois

Récits

Giving hope one meal at a time

Luzmila habite à San Juan de Lurigancho, un quartier extrêmement pauvre de Lima, au Pérou, où vivent plus d’un million de personnes. Lors de notre toute première rencontre, au début de l’année 2022, Luzmila participait déjà activement aux activités de la Luchadoras, une cuisine collective fondée avec quatre de ses voisines. Luzmila était alors très heureuse d’avoir enfin un toit pour leurs activités (ses collègues et elle cuisinaient jusque là à l’extérieur) et de suivre des formations et des ateliers offerts par l’El Instituto de Desarollo Urbano (CENCA), le partenaire de Cuso International sur le terrain.

Lors de notre rencontre subséquente, le 18 janvier 2023, Luzmila venait tout juste de terminer l’un de ces ateliers. Ses collègues et elle y avaient appris comment prendre la parole en public afin de faire connaître leur travail. Luzmila nous expliqua alors qu’elle ne se voyait pas comme une porte-parole, mais qu’elle comprenait l’importance de faire rayonner leur travail.

C’était une journée particulièrement occupée pour Luzmila, qui devait également cuisiner pour la collectivité.
Au plus fort de la pandémie, précise Luzmila, plus de 180 ménages dépendaient du repas quotidien fourni par la Luchadoras. Or, ses voisines et elle remarquent une nette amélioration depuis le ralentissement de la pandémie. Au cours des 6 derniers mois, le nombre de bénéficiaires de la cuisine collective a diminué à 30 ménages pour un total de 86 personnes.
« Nous servons des enfants orphelins, des personnes âgées et des familles, mais beaucoup moins qu’avant, explique Luzmila. Nous servons un total de 86 repas par jour. » Ses collègues et elle se partagent les tâches et assurent une rotation en cuisine du lundi au vendredi.

« Les choses changent, constate Luzmila. Avant, on était en confinement. On ne pouvait pas faire grand-chose. Maintenant, les choses reviennent tranquillement à la normale. On peut donc participer à des ateliers et formations. »

Grâce à ces ateliers, Luzmila acquiert de nouvelles compétences qui lui sont très utiles. « J’ai appris comment fabriquer des souliers et des sandales. J’ai aussi appris à faire de la pâtisserie et à cultiver la terre. Je fais maintenant partie de l’initiative Farmer to Farmer, un potager urbain qui contribue à nourrir ma communauté et ma cuisine collective. »

Nous avons d’ailleurs visité le potager adjacent à leur cuisine, situé en bordure de la salle de classe et de la salle de formation utilisées par la communauté. Les deux bâtiments ont été construits l’an dernier dans le cadre du projet Mujeres Unidas por la Seguridad Alimentaria y Ambiental (MUSA ou Femmes unies pour la sécurité alimentaire, en français). Luzmila poursuit en précisant que le potager a été semé pendant la pandémie, et qu’il a joué un rôle crucial dans leur survie, puisqu’elles ne pouvaient pas quitter leur quartier pour se rendre dans les marchés.

Grâce à l’initiative Farmer to Farmer, Luzmila et ses voisines ont appris les rudiments de l’agriculture urbaine, de l’entretien des sols à la lutte antiparasitaire en passant par le choix de semences idéales en milieu aride. En peu de temps, leur potager a donné ses premières récoltes. Aujourd’hui, Luzmila cultive du céleri, des tomates, du kale, des haricots et des poivrons pour la cuisine collective de son quartier. « Nous sommes actuellement à l’étape de la transplantation des semis », constate-t-elle fièrement.

Désormais, pas moins de 24 femmes participent à l’entretien de ce potager. Elles ont appris la culture de certains légumes et le rôle des légumes dans la prévention de l’anémie, qui est courante chez les enfants péruviens.
Dans le climat désertique péruvien, l’horticulture vivrière n’est possible que si les gens ont accès à de l’eau. Or, accès à l’eau dans le quartier de San Juan de Lurigancho requiert de la planification, de la coordination et une détermination à toute épreuve. « Rien n’est perdu, explique Luzmila. Une fois les pommes de terre lavées, on utilise la même eau pour laver le riz et les autres légumes à la cuisine et pour arroser notre potager. On réutilise l’eau parce qu’on n’a pas d’eau courante. »

Seulement trois maisons de son quartier ont l’eau courante. Les autres, précise-t-elle, s’approvisionnent dans les gros conteneurs d’eau potable disséminés dans le quartier. Mais la plupart des maisons, comme celle de Luzmila, ne sont pas raccordées au réseau d’eau potable. Heureusement, leur cuisine collective l’est.

« Ma maison n’est pas raccordée au réseau d’eau potable, explique Luzmila. Mais le bâtiment où se trouve notre cuisine collective est raccordé au réseau. Et tous nos voisins savent que nous devons réutiliser l’eau pour arroser le potager dans la mesure du possible. »

En réalité, l’accès à un logement décent pourvu d’électricité et d’eau potable demeure impossible pour la majorité des résidents du quartier. « Je n’ai pas d’électricité et d’eau potable chez moi, précise Luzmila. Mon voisin me fournit de l’eau à l’aide d’un boyau d’arrosage et me permet parfois d’utiliser son électricité. »

Nous avons remarqué des travaux de construction dans son quartier; une bonne nouvelle aux yeux de Luzmila. « On voit des progrès dans notre quartier, constate Luzmila. On en est très reconnaissants, car je rêve d’une vie meilleure pour mes enfants. Je garde espoir en l’avenir. »
De nouveaux espaces pour répondre aux besoins de la communauté
Le projet MUSA a permis la construction de nouveaux espaces multifonctionnels, comme la salle de classe pour les enfants adjacente à la cuisine collective. Comme l’explique Freyre Pedraza, le coordonnateur du projet MUSA, six de ces espaces ont été construits l’an dernier, et de nouveaux travaux de construction viennent de démarrer. « Ce sont des lieux importants où les femmes peuvent se réunir, discuter, échanger des idées et prendre des décisions », explique-t-il.

Meilleure certification
Freyre souligne également que le projet MUSA a mis sur place une certification agroécologique qui valide la catégorie et le grade des produits cultivés dans les potagers urbains. Tous les produits recevant cette certification doivent respecter les règles en matière de sécurité et de salubrité alimentaires. C’est une énorme amélioration, constate Freyre. « La certification permet aux maraîchères du projet MUSA de percer de nouveaux marchés et d’avoir un accès direct avec les consommateurs, ce qui constitue un élément majeur de la stratégie de plaidoyer du projet. Nous travaillons avec notre partenaire, l’El Instituto de Desarollo Urbano (CENCA), et le gouvernement local pour garantir la conformité », ajoute-t-il.

Politique de récupération alimentaire
Le CENCA estime que 10 tonnes d’aliments sont gaspillées quotidiennement dans la région métropolitaine de Lima. Des aliments qui pourraient être récupérés et consommés. Un nouveau programme de récupération alimentaire lancé par MUSA permettra bientôt aux membres de la communauté d’obtenir des aliments destinés aux sites d’enfouissement. Les gens pourront ainsi récupérer les aliments propres à la consommation et les distribuer dans les cuisines collectives. Cet effort de récupération alimentaire a d’abord pris la forme d’un projet de loi adopté par l’administration municipale l’an dernier. Les partenaires de MUSA sont toutefois conscients qu’il reste encore beaucoup à faire pour que le programme soit pleinement mis en œuvre.

Initiative de développement agricole (MUSA)
L’initiative Farmer to Farmer lancée en 2022 est présente dans 40 communautés. Cette initiative vise à fournir des outils et de l’équipement aux potagers urbains comme celui adjacent à la cuisine collective de Luzmila. L’initiative cherche également à développer le volet transformation afin que les femmes produisent des aliments à valeur ajoutée (comme de l’huile, de la marmelade et de la confiture) qu’elles pourraient ensuite commercialiser.